L'Agence multilatérale de garantie des investissements face aux conflits armés : le cas du secteur aérien
Benoit Lopez  1, *@  
1 : Maître de conférences en droit privé  (MCF)
Université de Versailles-Saint Quentin en Yvelines, CREA Centre de Recherche de l'Ecole de l'Air
3 rue de la Division Leclerc 78280 Guyancourt -  France
* : Auteur correspondant

L'Agence multilatérale de garantie des investissements face aux conflits armés : le cas du secteur aérien

 

Benoît Lopez

Maître de conférences en droit privé

UVSQ-Université Paris Saclay, détaché à l'École de l'Air et de l'Espace (au 1er septembre 2023)

Membre du DANTE/CREA

 

 

 

 

 

Un pays peut ne pas disposer des fonds nécessaires pour investir dans des infrastructures pourtant vitales à son développement comme celles du secteur aérien. Dans ces circonstances, le recours à des acteurs privés représente une alternative, parmi d'autres, pour pourvoir à ce type de grand chantier. Néanmoins, l'investissement pour les entreprises privées dans le secteur aérien suppose, outre des capacités financières et technologiques, un environnement politique et surtout juridique a minima prévisible.

Ainsi, à défaut d'être attractif, le cadre juridique proposé par un pays gagne à permettre d'envisager l'investissement au long cours que représente la construction ou la rénovation d'un aéroport sans craindre de bouleversement durant l'opération ou son exploitation ultérieur.

Naturellement, certaines évolutions des règles d'urbanisme ou de protection de l'environnement, par exemple, sont le lot commun du secteur aérien. En revanche, les risques de renversement d'un gouvernement, ou d'affrontements entre bandes armées soulèvent une difficulté d'une tout autre nature pour un projet de ce type.

 

Par principe, ces événements font une brèche dans la temporalité et la continuité juridique des institutions d'un pays et plus généralement de l'État de droit. Dès lors, le seul risque qu'ils adviennent peut durablement décourager des investisseurs à s'engager dans les pays qui semblent y être le plus sujets. Ce phénomène de désaffection est problématique lorsque justement une nation, soucieuse de ne pas limiter son horizon économique aux différents mécanismes d'aide au développement internationale, cherche à attirer des capitaux étrangers.

 

Dans ce contexte, la recherche d'un développement économique par le biais du secteur aérien pose donc la question des garanties juridiques et politiques qui peuvent être offertes aux investisseurs et du niveau pertinent d'adoption de la règle de droit.

Dès lors que le risque envisagé est de nature conflictuelle, qu'il peut mobiliser des combattants et conduire à une transition brutale des institutions du pays, offrir une réponse nationale n'est pas nécessairement la voie la plus efficace. S'ouvre alors le sujet d'une approche régionale ou multilatérale à l'échelle mondiale pour tenter de stimuler les investissements dans les infrastructures aériennes.

 

À cet égard, la création de l'AMGI à l'occasion de la convention de Séoul en 1985 et notamment l'application de son article 11 IV.) offre une réponse juridique robuste et adaptée, tout du moins au plan théorique. En effet, ce dernier prévoit en matière de conflits armés et de troubles civils que « l'Agence peut garantir les investissements admissibles contre les pertes résultant d'une ou de plusieurs des catégories de risque ci-après : (...) toute action militaire ou tout trouble civil dans tout territoire du pays d'accueil auquel la présente Convention est applicable conformément à l'art. 66 ».

 

Si dans son chapeau l'article 11 parle de risques garantis, il est cependant remarquable que la mission de l'AMGI ne soit pas exclusivement de couvrir un risque comme le ferait un mécanisme purement assurantiel. Par son existence, l'AMGI espère stimuler l'investissement et pas simplement l'accompagner. Ce décalage dans les objectifs assignés à cet instrument juridique appelle plusieurs niveaux d'analyse qui motivent cette étude.

 

Ainsi, même si ce mécanisme de garantie se distingue d'une approche purement assurantielle, il la recoupe pour partie ce qui permet d'en proposer une comparaison avec au moins deux institutions. Une telle mise en perspective permet de clarifier l'attrait, pour les entreprises œuvrant dans le secteur des infrastructures aériennes, de recourir spécifiquement à la garantie offerte par l'AMGI.

La première est la Compagnie Inter-Arabe pour la Garantie de l'Investissement qui, outre des missions similaires, partage le même positionnement institutionnel. Cette dernière est en effet également issue d'un traité qui l'a doté d'une mission, garantir les investissements de ressortissants d'un État-membre effectués sur le territoire d'un autre État-membre. Plus important, l'article 18 c) de celui-ci permet également de couvrir des risques de troubles civils et de conflits armés. Dès lors, le choix de la définition adopté par ces deux traités mérite d'être questionné, en les comparant entre eux puis avec d'autres normes issues du droit international non économique traitant des conflits armés.

La seconde institution méritant une comparaison est l'Union internationale des assureurs-crédit et des assureurs-investissement plus communément appelée l'Union de Berne. Cette dernière diffère par son statut, c'est une association à but non lucratif, et par son fonctionnement, puisqu'elle représente l'industrie mondiale de l'assurance-investissement, ainsi que par son ancienneté puisqu'elle officie depuis 1934. L'étude d'une initiative privée par comparaison à une solution multilatérale offre un champ de réflexion propice sur l'existence ou l'insuffisance d'éléments différenciants pour l'AMGI. A fortiori dans un monde où des garanties étatiques peuvent provenir des traités bilatéraux d'investissements poursuivant déjà une logique d'attractivité.

En conséquence, la tentation pourrait donc être de discréditer l'apport de l'AMGI par comparaison aux mécanismes privés et publics existants. Les investisseurs voulant s'engager dans le secteur aérien des pays à risque pouvant bénéficier aisément de ces alternatives, l'ambition de cette recherche sera donc d'infirmer cette perception.

 

Au soutien de cette démonstration le choix a été fait d'analyser le cas de la France et de ses investisseurs privés à travers deux études de cas touchant à la construction et la rénovation d'un aéroport.

 

Le choix d'étudier des entreprises Françaises permet de lutter contre l'idée, parfois avancée par une partie de la doctrine, que l'AMGI lorsqu'elle joue un rôle d'attractivité des investisseurs le fait essentiellement dans une logique Sud-Sud. De plus, comme le rappelait le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) encore récemment, les sociétés françaises ont fait de la France l'un des plus grands pays d'investissements étrangers recourant aux services de l'AMGI. Depuis maintenant plusieurs années, ces dernières représentent ensemble plus de 15% de l'encours total de l'exposition brute de cette agence multilatérale.

 

S'agissant des deux études de cas envisagées, elles illustrent l'apport qu'a joué et que pourrait encore jouer à l'avenir le mécanisme de garantie de l'AMGI pour le secteur aérien.

Il s'agit en l'occurrence pour le premier projet d'une garantie de 85 millions de dollars couvrant les investissements en fonds propres et en prêts d'actionnaires réalisés par Aéroports de Paris Management S.A., Bouygues Bâtiment International S.A.S., Colas S.A. et Meridiam Infrastructure Africa Fund, Meridiam Infrastructure Africa Parallel Fund FIPS, Meridiam Infrastructure Africa Parallel Fund SCsp dans Ravinala Airports S.A. à Madagascar.

 

Pour le second, des garanties fournies pour un montant maximum de 195,15 millions de dollars à Meridiam Eastern Europe Investments 2 SAS (Meridiam) de France pour son investissement en fonds propres ou quasi-fonds propres dans Airport International Group (AIG), qui est l'actuel concessionnaire de l'aéroport international Queen Alia (QAIA) en Jordanie. Au plan temporel, le projet consiste en l'acquisition par Meridiam d'une participation de 32 % dans AIG, qui a conclu en 2007 un accord de concession de 25 ans avec le gouvernement jordanien pour la remise en état, l'agrandissement et l'exploitation de l'aéroport international de la Reine Alia, avec la possibilité d'étendre la concession de 5 années supplémentaires soit jusqu'en 2037.

 

Dans les deux cas, l'investissement est couvert par l'article 11 de la convention de Séoul et leur étude sera donc l'occasion d'illustrer la singularité du mécanisme offert par l'AMGI ainsi que son opportunité pour les décennies à venir.

 


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