Le papier explore l'évolution de l'usage du principe d'égalité dans la pratique décisionnelle du Conseil constitutionnelle français entre 1959 et 1995. En se fondant sur un corpus original – les délibérations du Conseil constitutionnel entre 1959 et 1995 –, et en utilisant des outils nés du traitement automatique des langues, l'article cherche à caractériser les raisons pour lesquels le principe d'égalité est devenu l'un des principes les plus utilisés par le Conseil. Plus précisément, on s'appuie sur un premier résultat empirique. Alors que l'expression « principe d'égalité » apparaît relativement peu avant 1981, il est utilisé de manière récurrente à partir de 1981 de sorte que l'on peut identifier une rupture et non une croissance progressive. Le papier explore alors trois hypothèses pour expliquer cette rupture. La première est d'ordre institutionnelle. Ne peut-on pas trouver dans la personnalité des conseillers et notamment le renouvellement du Conseil dans les années 1980, une première raison à cette rupture ? (Les années 1980 étant notamment marquées par l'influence de George Vedel). La seconde est une hypothèse politique. L'arrivée au pouvoir la gauche avec l'élection de François Mitterrand a, peut-être, structurellement imposé ce thème de l'égalité sur la scène constitutionnelle. La troisième thèse est davantage inspirée par l'économie politique. On essaierai de montrer que le principe d'égalité a principalement joué un rôle de contre-pouvoir permettant la censure de nombreuses lois qui étaient, ou au moins se présentaient comme, progressistes. Le cas français illustre donc le paradoxe que le principe d'égalité a souvent permis de censurer des lois dont le but affiché était, justement, de réaliser plus pleinement l'égalité. Et cela fut possible du fait d'une interprétation extrêmement formaliste de la notion « d'égalité ».